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Alzheimer, diabète, déficiences du système immunitaire, allergies... c'est dans la littérature médicale ou dans les rapports de recherche des grands laboratoires pharmaceutiques qu'on a plutôt coutume de trouver des références sur ces pathologies. Mais, depuis quelques années, la communication de deux grands groupes agroalimentaires Nestlé et Danone fait aussi la part belle à ces sujets. Et pour cause : les deux sociétés ont investi ce segment de marché qu'est la nutrition médicale, un univers « à mi-chemin entre l'agroalimentaire et la pharmacie », tel que l'ont défini les dirigeants de Nestlé fin septembre au moment de l'annonce de la création d'une filiale consacrée à cette activité.
Jusqu'à présent, la branche nutrition, bien-être et santé (10 % du chiffre d'affaires global) intégrait à la fois la nutrition clinique, les produits de régime alimentaire Jenny Craig et les activités infantiles de Gerber, acquises en septembre 2007. Mais, convaincu du potentiel de croissance de la nutrition médicale, le groupe suisse est passé à la vitesse supérieure en se dotant également d'un centre de recherche dédié : 500 millions de francs suisses seront consacrés dans les cinq prochaines années à la recherche dans ce domaine alors que cette activité a dégagé l'an dernier un chiffre d'affaires de 1,6 milliard !
En acquérant en juillet 2007 la filiale de nutrition médicale de Novartis (pour laquelle il n'a pas hésité à payer le prix fort, soit 28 fois le résultat d'exploitation de la cible), Nestlé avait déjà montré clairement ses ambitions. La même année, Danone, qui s'est donné pour mission d'apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre, s'est offert Numico, le leader européen de la nutrition infantile, et, contre toute attente, a conservé l'activité de nutrition médicale.
Croissance, marges et crédibilité
L'intérêt de Nestlé et de Danone est parfaitement justifié puisque le marché de la nutrition médicale, estimé à 6,5 milliards de dollars, est en forte croissance (+ 12 % par an en moyenne entre 2005 et 2010) et permet de dégager une marge opérationnelle supérieure à 20 %. Mais on peut se demander quelle légitimité ont ces deux sociétés pour aller marcher sur les plates-bandes des laboratoires pharmaceutiques, le marché étant dominé par Abbott. Certes, Nestlé et Danone ont en commun d'avoir, à l'origine, commercialisé leurs premiers produits, un lait infantile pour l'un, des yaourts pour l'autre, dans les rayons des pharmacies. Cela ne suffit pas pour être légitime dans le domaine médical, mais, ces dernières années, les deux groupes ont beaucoup oeuvré - Danone surtout - pour démontrer les bénéfices santé de leurs produits alimentaires. Le français a même été un précurseur dans ce domaine, en se dotant d'équipes de recherche pointues, en travaillant avec des instituts scientifiques et en procédant à des tests cliniques pour des gammes de produits, vendus en supermarché, alliant plaisir et bienfaits pour la santé.
Finalement, il n'y avait qu'un petit pas à franchir en direction d'un monde médical aujourd'hui plus réceptif aux sujets de prévention. « Les autorités sont aujourd'hui plus réticentes à rembourser certains traitements, ce qui incite à la santé préventive », explique Patrick Biecheler, consultant chez Roland Berger. La nutrition médicale n'a pas vocation à soigner, mais à pallier certains états de dénutrition, notamment chez les personnes âgées, à prévenir certaines maladies, comme le diabète, ou à apporter des solutions à des nourrissons souffrant de problèmes d'allergies.
Le vieillissement de la population et les changements de mode de consommation accélèrent le développement de certaines pathologies, qui deviennent des enjeux de santé publique. Et c'est valable aussi bien dans les pays matures que dans les pays émergents. « En Europe, la majeure partie de nos produits sont prescrits par des médecins et remboursés. C'est là la principale différence avec les pays émergents », explique William Green, directeur de la communication de Nutricia (Danone).
Au Brésil, en Chine, en Turquie, etc., le potentiel de croissance est aussi considérable. « Quand on veut vendre des produits de nutrition médicale dans ces pays, il faut savoir parler aux consommateurs, et c'est là le point fort de Danone », poursuit William Green. Un point de vue que partage Patrick Biecheler, qui estime que « la connaissance des groupes agroalimentaires sur les comportements des consommateurs est supérieure à celle des laboratoires pharmaceutiques ».
Par ailleurs, les produits de nutrition médicale peuvent avoir une audience qui dépasse ce segment de marché, les innovations pouvant être utilisées pour des gammes vendues dans les supermarchés, ce qui peut apporter d'importants bénéfices en termes d'image pour Nestlé et Danone.
Des petites acquisitions en vue
Aujourd'hui, les quatre premiers acteurs de la nutrition médicale ont une part de marché estimée à environ 20 % pour chacun. Danone et Nestlé ont annoncé ces derniers mois des petites opérations de croissance externe. Les cibles, de taille modeste, sont toujours très bien valorisées. Danone s'est renforcé sur le marché américain, où il n'était présent que sur des produits ciblés pour les nourrissons prématurés, avec l'acquisition de Medical Nutrition, qui distribue des compléments alimentaires pour personnes âgées dans les hôpitaux gériatriques. Et, en août, Nestlé a acquis le britannique Vitaflo, qui développe des produits pour les personnes souffrant de maladies métaboliques génétiques.
Des rumeurs ont récemment fait état d'un projet de cession de la division eaux de Danone, qui souhaiterait se recentrer sur les activités de nutrition. Ce qui ferait sens sur le plan stratégique, mais le groupe français a aussi largement les moyens de participer à la consolidation du secteur sans avoir à vendre cet actif.