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Alors que le CAC 40 recule depuis le début de l'année, les valeurs moyennes affichent d'excellentes performances. Le Journal des Finances fait le point avec ses experts habituels afin de connaître leurs stratégies et leur idées d'investissement.
LE JOURNAL DES FINANCES. Comment va évoluer le segment des valeurs moyennes ?
BRUNO LE CHEVALLIER, gérant chez CCR AM : Un peu à la surprise générale, le début d'année a été marqué par une contre-performance des valeurs défensives et de rendement. A l'inverse, les valeurs moyennes affichent des performances étonnantes. Le CAC Next 20 progresse ainsi de 18 % depuis le début de l'année quand le CAC 40 cède 6 % ! La différence est énorme. Et le phénomène a toutes les chances de se poursuivre si les marchés sont bien orientés. A l'inverse, en cas de correction, l'écart devrait se réduire.
JOSÉ BERROS, analyste-gérant à La Financière de l'Echiquier : Le rebond des valeurs moyennes est assez frappant effectivement. Pourtant, les valorisations des entreprises restent encore modestes, avec un PER estimé sur 2011 de 12 fois pour le Mid & Small 190. Il existe aussi une grande hétérogénéité de performance sur ce segment de la cote. Certains titres ont vu leur cours multiplié par trois ou quatre depuis les points bas de mars 2009, alors que d'autres valeurs n'ont pas bougé. La sélection des valeurs reste fondamentale et il subsiste un réel potentiel d'appréciation sur bon nombre de valeurs moyennes.
RÉGIS LEFORT, directeur général de Talence Gestion : Je reste positif sur la dynamique du segment d'ici à la fin de l'année. Le principal argument tient à une croissance des résultats structurellement plus forte que celle des grandes valeurs. Ainsi, la progression médiane du BNPA est attendue à 17 % pour 2010 et à 15 % pour 2011 sur le CAC 40, contre 21 % pour 2010 et 20 % pour 2011 sur un échantillon large de valeurs moyennes. Cela justifie la différence de performance depuis le début de l'année et le fait que ces valeurs moyennes continuent de surperformer. De plus, leur prime de risque, à 5,8 %, est encore à un niveau élevé.
SÉBASTIEN KORCHIA, gérant chez Meeschaert AM : Je suis également positif, même si je ne vois pas de raison pour que cette surperformance des valeurs moyennes s'accroissent d'ici à la fin de l'année. Sur l'évolution depuis le début de l'année, il est intéressant de voir qu'elle se fait d'abord sur les grosses valeurs moyennes. Ainsi, le SBF 80 gagne 13 % depuis le début de 2010. C'est un peu comme si les gérants « grandes valeurs » s'étaient déportés sur les moyennes à forte liquidité. Et cette évolution s'est renforcée en cours d'année. Ainsi, depuis mi-mai, le CAC 40 progresse de 0,7 %, le Mid & Small 190 cède 3,4 %, mais le SBF 80 gagne encore 4,8 %.
LE JOURNAL DES FINANCES. L'appartenance sectorielle est-elle un critère d'investissement ?
RÉGIS LEFORT : Non. Il existe de belles sociétés dans des secteurs difficiles. C'est par exemple le cas de Lacie. Ce fabricant de périphériques de stockage tire bien son épingle du jeu dans un environnement international très concurrentiel et constitué de grands acteurs, mais son cours de Bourse en tient largement compte. Sa petite taille pourrait en outre en faire une cible potentielle.
SÉBASTIEN KORCHIA : J'opère sans cahier des charges précis et sans critères. L'appartenance sectorielle peut constituer un critère de prudence tout au plus. C'est par exemple le cas des biotechs, qu'il est souvent difficile d'appréhender.
JOSÉ BERROS : Nous privilégions les modèles d'entreprise que nous comprenons bien et que nous arrivons à valoriser. Naturellement, nous excluons donc les biotechs de notre univers d'investissement. Pour le reste, nous n'avons pas de contrainte sectorielle.
LE JOURNAL DES FINANCES. Et la faiblesse de la valorisation ?
JOSÉ BERROS : Investir sur le seul critère de la sous-valorisation serait trop dangereux. Par exemple, une entreprise présente sur un marché déclinant, fortement endettée et mal dirigée pourrait au contraire « mériter » cette sous-valorisation apparente ! A la Financière de l'Echiquier, nous faisons attention à la valeur des choses. C'est pourquoi des niveaux de valorisation attractifs constituent des critères nécessaires d'alerte... mais pas forcément des critères suffisants pour investir !
RÉGIS LEFORT : Il faut d'abord préciser que la valorisation n'est pas un critère objectif. La valorisation peut être en instantané faible sur un critère, élevée sur un autre, en fonction des résultats dégagés par exemple. Elle doit s'apprécier au regard des perspectives de croissance et de rentabilité des sociétés.
SÉBASTIEN KORCHIA : Cela dépend aussi du style de gestion. La value se fait sur ce seul critère. Moi, je pense qu'il ne faut pas s'enfermer dans un style. La value était très performante en 2003 et en 2004. C'est moins le cas aujourd'hui. Les extrêmes de valorisation constituent davantage des situations anormales, qui nécessitent d'être analysées par l'utilisation d'autres critères.
BRUNO LE CHEVALLIER : La difficulté est surtout d'avoir une discipline de vente. Il est possible de développer une forte confiance envers une société et un management. Il est vrai, également, qu'en vendant trop tôt il est possible de passer à côté de belles performances. Il était sans doute difficile d'imaginer la performance de Vallourec au cours des dix dernières années par exemple.
LE JOURNAL DES FINANCES. Le rendement devient-il un thème d'investissement ?
RÉGIS LEFORT : Je ne le pense pas. Un rendement élevé n'est pas synonyme de hausse du cours, notamment si le taux de distribution des bénéfices est lui-même élevé, et il n'est pas forcément pérenne. PagesJaunes offre ainsi un rendement de 8 %, mais le titre n'a pas progressé depuis le début de l'année. Pire, Dreamnex, malgré un rendement de 7,5 %, cède plus de 20 %.
SÉBASTIEN KORCHIA : Le versement d'un dividende peut même être mal perçu. En effet, ces entreprises ont besoin d'investir pour financer cette croissance.
BRUNO LE CHEVALLIER : Je ne suis pas tout à fait d'accord. Le rendement peut être un atout non négligeable. Sur le long terme, 30 à 40 % de la performance des actions, valeurs moyennes et grandes capitalisations confondues, proviennent du dividende. Un fort rendement peut permettre de patienter en cas de période difficile ou d'absence de croissance. Il s'agit d'un critère d'autant moins « neutre » que la période de taux faible risque de durer.
JOSÉ BERROS : Le rendement ne constitue pas pour moi un critère de sélection de valeurs, mais il représente la cerise sur le gâteau. Nous pouvons citer Alten, qui est un beau projet de croissance dans le secteur de la R&D externalisée. Alten verse aussi un rendement de 4 % qui nous semble intéressant. Nous aurions aussi pu citer d'autres projets de croissance comme Toupargel, qui atteint même 7,5 % de rendement.
LE JOURNAL DES FINANCES. Sortie de cote, OPA : l'actualité est forte. Comment en profiter ?
JOSÉ BERROS : Il faut d'abord être investi sur les valeurs moyennes !
SÉBASTIEN KORCHIA : C'est sûr. Il s'agit toutefois d'un thème difficile à « jouer », car le timing est toujours très difficile à trouver. Mais il est clair que les dossiers dont on parle depuis longtemps finiront par se concrétiser. Je pense par exemple à Infovista, Locindus, Canal+, Rue du Commerce, Ciments Français ou toute la galaxie Bolloré. En revanche, il est parfois difficile de se placer sur des dossiers en cours. C'est par exemple le cas avec Se- loger.com. Axel Springer n'a en effet pas pour habitude de surenchérir et il a montré avec Auféminin.com qu'il pouvait laisser une société cotée après en être devenu actionnaire majoritaire.
RÉGIS LEFORT : L'environnement actuel est tout de même favorable à la reprise des opérations de fusion-acquisition. Aujourd'hui, le coût de la dette est attractif, beaucoup de sociétés sont restructurées, disposent de cash, et certaines ont fait part de leur intention de réaliser des acquisitions. On peut ainsi citer des sociétés « consolidatrices » de leur secteur, comme Compagnie des Alpes, Maisons France Confort, Faiveley, SEB ou Téléperformance. Il est aussi possible de jouer les cibles potentielles. Séchilienne-Sidec, Stallergènes, Entrepose Contracting, Ipsos, Zodiac, Kaufman & Broad ou les petits acteurs de l'Internet en font partie.
BRUNO LE CHEVALLIER : Il est intéressant de voir que tous les placements se passent très bien. C'est, par exemple, le cas de l'allemand Brenntag récemment. Il y a donc de l'appétit pour les dossiers. Lors des récentes batailles boursières, les différents acteurs étaient souvent prêts à payer pour réaliser l'opération. Cela a été le cas en Grande-Bretagne cet été, avec la bataille entre le suisse ABB et l'américain Emerson pour le contrôle de Chloride Group.
JOSÉ BERROS : Le retour des industriels parmi les acquéreurs est un signal fort de sous-valorisation des valeurs moyennes. Malgré les incertitudes économiques, ils re-commencent à faire leurs emplettes. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas assisté à une telle vague d'opérations, notamment sur les valeurs moyennes. De plus, les primes offertes sont souvent significatives, à l'image de Sperian, acquis par Honeywell avec une prime de 100 % !
SÉBASTIEN KORCHIA : Il est possible d'utiliser quelques indicateurs pour essayer de repérer les sociétés sur lesquelles il pourrait se passer quelque chose. Les Opra en représentent un. Elles se sont multipliées ces derniers mois - avec LVL Medical, Radiall, Etam, Efront - et montrent le prix minimal que les dirigeants envisagent pour leur société.
BRUNO LE CHEVALLIER : D'une manière générale, il est toujours intéressant de voir ce que font les dirigeants. Les achats de titres comme les ventes constituent toujours des indices.