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Le rebond économique de la Chine aura surpris les économistes les plus éminents. En visite dans le pays cette semaine, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, a annoncé une augmentation du PIB de 8 % pour l'année 2009, alors que son institution tablait sur seulement 7,2 % auparavant.
Ces chiffres ont de quoi faire pâlir d'envie les dirigeants de la plupart des économies mondiales, toujours en récession. Le PIB américain était encore en recul de 1 % au deuxième trimestre quand le chinois bondissait de 7,9 %. Cette performance reste pourtant décevante si on la compare à celle des dernières années, pendant lesquelles la Chine affichait une croissance à deux chiffres. D'autant que le rebond, dû au plan de relance de 4.000 milliards de yuans (585 milliards de dollars), reste fragile. « La reprise est peut-être présente, mais elle peut toujours chanceler », a mis en garde Robert Zoellick cette semaine.
Car l'économie chinoise a été profondément touchée par la crise mondiale. Elle a vu son principal moteur de croissance s'enrayer : les exportations. Celles-ci étaient en baisse de 23 % sur un an en juillet. Or, entre 2001 et 2008, elles ont représenté plus de 30 % du PIB chinois.
Très dépendant du commerce extérieur, le pays a rapidement senti les effets de ce repli. A partir de la fin de l'année 2008, les licenciements se sont multipliés, particulièrement dans les régions côtières du sud, tournées vers l'export, comme celle du Fujian et du Guangdong. Dans cette dernière province, plus de la moitié des 3.900 fabricants de jouets avaient mis la clé sous la porte avant Noël. Et selon les estimations de l'Académie chinoise des sciences sociales, un institut de recherche local, le taux de chômage dans les zones urbaines s'élevait à plus de 9,4 % à la fin de l'année.
Des risques de tensions sociales
Ces chiffres sont d'autant plus inquiétants que la montée des tensions sociales menace toujours la Chine. A défaut d'être démocratique, le régime tire l'essentiel de sa légitimité dans sa capacité à créer des emplois et craint d'être remis en cause s'il n'enraye pas la montée du chômage. Pour le moment, la stabilité politique semble être préservée car les destructions de postes touchent d'abord les travailleurs migrants, peu à même de s'organiser. « Il y a un certain mécontentement dans les villes où il y a du chômage. Ce n'est pas un mouvement politique qui se développe mais cela oblige le gouvernement à maintenir une croissance aussi forte que possible », explique Françoise Lemoine, économiste au centre de recherche Cepii.
Une tâche d'autant plus difficile que les relais de croissance disponibles sont moins nombreux qu'avant la crise. Les exportations ont progressé de plus de 10 % entre les mois de juin et juillet, mais leur niveau reste très bas. Les perspectives futures demeurent mauvaises car les consommateurs américains, qui comptent parmi les principaux destinataires des produits chinois, préfèrent désormais l'épargne à la consommation. Selon un rapport de la Banque mondiale, les exportations devraient croître moins rapidement dans les dix ans à venir qu'au cours de la précédente décennie.
A défaut de pouvoir compter sur la demande extérieure, la Chine pourrait se tourner vers sa consommation intérieure. Avec 1,3 milliard d'habitants, le pays représente un marché énorme (pour comparaison, les Etats-Unis comptent 307 millions d'individus). Et les classes riche et moyenne regroupent 430 millions de personnes, selon une étude du HEC Eurasian Institute.
Une croissance déséquilibrée
Le potentiel de la demande intérieure reste pourtant inexploité. La part de la consommation dans le PIB a beaucoup baissé au cours de la dernière année, pour tomber à 36 % aujourd'hui. C'est moitié moins qu'aux Etats-Unis. Avec les réformes de libéralisation des années 90, le système de protection social a été démantelé. Les foyers chinois préfèrent donc mettre de l'argent de côté pour pouvoir se soigner et pour financer les études supérieures de leurs enfants.
Cette faiblesse de la demande intérieure rend l'économie chinoise très vulnérable aux chocs extérieurs, et le gouvernement en a bien conscience. En 2007, déjà, le Premier ministre Wen Jiabao avouait : « Le plus gros problème de l'économie chinoise, c'est que sa croissance est instable, déséquilibrée, peu coordonnée et insoutenable. » Le onzième plan quinquennal (2006-2010) avait notamment pour but de rééquilibrer la croissance. « Mais ses objectifs n'ont pas été atteints », affirme Françoise Lemoine.
Les réformes se font attendre
Il faut dire que la crise a modifié les priorités du gouvernement. Devant le recul du PIB, il a d'abord privilégié le soutien de l'activité.
L'essentiel du programme de soutien à l'économie a servi à relancer l'industrie avec de grands projets d'infrastructures, comme la construction d'aéroports, de routes ou de lignes de chemin de fer. Le gouvernement a encouragé l'achat de voitures propres et de produits électroniques par le biais de subventions, ce qui a notamment soutenu la demande rurale. Cependant, « le plan de relance n'a pas été conçu dans l'intérêt de la consommation des ménages », souligne Bei Xu, économiste chez Natixis.
Les réformes qui permettraient à la Chine de soutenir sa croissance, sans reprise solide des exportations, sont toujours à mettre en oeuvre. Récemment, le pays a décidé de généraliser le système de Sécurité sociale. Il est encore trop tôt pour juger de son efficacité. Son impact sera en tout cas limité car il ne s'appliquera qu'aux zones urbaines.
Surtout, le manque de protection sociale ne doit pas occulter les autres problèmes. Car la richesse chinoise reste le monopole des grandes entreprises industrielles, contrôlées par l'Etat. Contrairement aux PME, elles ont un accès au crédit très facile et elles ont été les premières à bénéficier du plan de relance. Preuve évidente des déséquilibres chinois, les secteurs sidérurgique et pétrochimique dominés par ce type d'entreprise, sont aujourd'hui en surcapacité de production. Ces géants ne distribuent pas plus de dividendes qu'ils n'augmentent les salaires.
Enfin, contrairement au secteur des services ou aux petites entreprises, ils n'embauchent pas beaucoup. Autant d'éléments qui nuisent à l'emploi, aux salaires et donc à la consommation privée.
D'où les préconisations des économistes du cabinet de conseil McKinsey : « Les banques devraient être encouragées à supporter le secteur des services ainsi que les petites et moyennes entreprises », expliquent-ils. Car, avec sa répartition sectorielle déséquilibrée, « l'économie crée trop peu d'emplois pour sa taille et son niveau de croissance ».
Des freins au changement
Dans une récente allocution, Stephen Roach, chef économiste Asie de la banque Morgan Stanley, a estimé que le pouvoir pourrait faire monter la consommation à 50 % du PIB en seulement cinq ans.
Un objectif bien ambitieux selon d'autres économistes. « Ce sont des changements qui relèvent de la tectonique des plaques. Les progrès, s'ils arrivent, seront extrêmement lents », explique Hervé Lievore, stratégiste chez Axa AM. Car les disparités régionales sont très fortes et la structure politique freine les réformes structurelles.
« La plus grande part des financements est entre les mains des gouvernements de province, qui ont tendance à être beaucoup plus court-termistes que le gouvernement central », explique, dans une note, Françoise Nicolas, économiste à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Et d'ajouter : « Le risque est élevé de voir les autorités chinoises choisir d'abord la stabilité sociale et politique au détriment d'une croissance de long terme. »
Le gouvernement chinois semble avoir choisi la première option avec son plan de relance. D'un autre côté, les résultats du plan ont prouvé que l'Etat était capable de mettre en oeuvre des changements de grande ampleur en un temps record.