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Ganesh - le dieu-éléphant qui lève les obstacles - semble avoir veillé sur l'économie indienne. Le Fonds monétaire international (FMI) table sur une progression du PIB indien de 5,4 % pour l'année fiscale 2009/2010. Une performance décevante si on la compare au formidable taux de croissance des années précédentes (9,4 % en 2007 et 7,3 % en 2008). Mais l'économie ne s'est pas effondrée avec la crise et sa Bourse remonte. « L'Inde devrait faire partie des économies les plus performantes de la région Asie pour l'année 2009-2010 », explique Cynthia Kalasopatan, économiste au Crédit Agricole. Les clés de cette résistance ? Le sous-continent est d'abord relativement peu dépendant du commerce international. Certes, les secteurs exportateurs, comme ceux des technologies de l'information, des composants de voitures, du textile ou de la joaillerie ont beaucoup souffert du ralentissement des échanges. Mais ils représentent seulement 22 % du PIB indien, contre 37 % du PIB chinois. Deuxième atout : le système financier. Bien contrôlé et assez peu sophistiqué, il n'a pas souffert de la débâcle des crédits hypothécaires américains. Surtout, le gouvernement de Manmohan Singh a agi rapidement pour enrayer le ralentissement de la croissance. Il a notamment pris des mesures en faveur des populations rurales et ainsi empêché la panne du principal moteur de croissance indien : la consommation (60 % du PIB). En parallèle, la « Banque centrale indienne a fait preuve d'une grande capacité de réaction pour surmonter l'assèchement de la liquidité », note Christine Peltier, économiste chez BNP Paribas dans une étude. Alors qu'ils s'élevaient à 9 % au mois d'août, les taux directeurs ont été régulièrement abaissés, pour atteindre 4,75 % au mois de mai. Des risques de rechute « Les pires trimestres sont derrière nous », a déclaré le ministre des Finances Pranab Mukherjee en juillet. La plupart des économistes estiment aussi que l'économie indienne a touché ou dépassé son « point bas ». Ils mettent cependant en garde contre certains risques. Le premier d'entre eux vient du ciel. Le mois de juin a été si sec que quatre des vingt-huit Etats indiens ont déclaré l'état de sécheresse. Or, même si le secteur agricole ne représente que 18 % du PIB, il emploie près de 75 % de la population. Pour l'heure, le gouvernement n'a pas tiré le signal d'alarme. Il espère que d'ici à la fin de la période des moussons, en octobre, les pluies auront été abondantes. Si ce n'est pas le cas, l'inflation, qui a reculé à 1,2 % au mois de juillet, pourrait remonter rapidement. Elle avait atteint un pic de 12,5 % en août 2008, avant de s'effondrer sous l'effet de la baisse du prix des matières premières. Prudent, le gouvernement a toutefois préféré ne pas trop baisser ses taux. Il estime que les prix devraient croître de 4 % cette année. La santé du système bancaire inquiète aussi certains économistes. « Il n'y a pas eu de subprimes, mais les banques ont été parfois surexposées sur les crédits immobiliers ou les crédits aux particuliers », explique Jean-Joseph Boillot, spécialiste de l'Inde au Cepii, un centre de recherche en économie internationale. Selon lui, il faut craindre une augmentation des défauts de paiement, d'autant plus rapide que beaucoup d'employés qui s'étaient endettés pour acheter un logement ont perdu leur emploi. Selon un rapport de la Commission des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), près de 1,16 million de personnes se sont retrouvées au chômage en raison du ralentissement économique. En dépit de ce choc, Hervé Lievore, stratégiste chez Axa Investement Managers, soutient que le système financier est solide : « A condition qu'elles ne relâchent pas leurs standards de gestion des risques, les banques indiennes ont parfaitement la capacité de faire face à des créances douteuses », affirme-t-il. En revanche, il pointe du doigt le niveau d'endettement de l'Etat. Les finances publiques inquiètent depuis longtemps. En 2004, le gouvernement avait déjà promis de s'y attaquer. Mais à peine cette politique commençait-elle à porter ses fruits que la crise est apparue, faisant déraper les dépenses publiques. Le budget, présenté en juillet par le nouveau gouvernement, prévoit des dépenses supplémentaires en infrastructures et en programmes sociaux. Si bien que le déficit de l'année fiscale 2009/2010 devrait s'élever à 6,8 % du PIB. Un chiffre jamais atteint depuis seize ans, auquel il faut ajouter le déficit des Etats fédérés. Au total, la dette publique devrait s'élever à plus de 80 % du PIB. Le niveau de la dette inquiète Contractée en monnaie locale, elle n'est pas sensible aux risques de change, ce qui limite les risques. En revanche, les charges d'intérêt absorbent près de 5,6 % du PIB. Une situation alarmante, selon les économistes, qui craignent que les entreprises privées ne parviennent pas à se financer si l'Etat doit chercher des fonds sur les marchés obligataires. Reste que le gouvernement envisage aussi de trouver de l'argent par le biais de privatisations dans les cinq ans à venir. Ces privatisations sont très attendues par les milieux économiques et financiers, qui attendent une plus grande libéralisation de l'économie réelle et des marchés financiers. A ce titre, « les investisseurs avaient placé beaucoup d'espoir dans le projet de budget, mais cela a été assez décevant », explique Hervé Lievore. Il faut dire qu'avec 1,1 milliard d'habitants, le marché intérieur indien, partiellement anglophone, a de quoi exciter les appétits. Mais les investissements sont encore assez encadrés. C'est le cas notamment dans la distribution. Wal-Mart a ouvert son premier magasin dans le pays en mai, mais il ne peut faire que de la vente de demi-gros. Ikea a lui aussi tenté sa chance, mais a finalement renoncé à ses projets en juin, car la réglementation locale l'empêchait de contrôler 100 % de son activité. Reste que les contraintes sont moins importantes dans l'industrie ou les services. « La plus grande difficulté, ce ne sont pas les obstacles réglementaires mais la méconnaissance du marché », explique Jean-Joseph Boillot, qui conseille les entreprises qui souhaitent s'installer sur le sous-continent. Emmanuel Picot, P-DG d'Evolis, un fabriquant d'imprimantes de cartes plastique, partage cet avis. « Signer un accord ne suffit pas, il faut être excessivement présent en termes d'accompagnement », dit-il. Avec l'aide d'un partenaire local, il lui aura fallu deux ans pour obtenir des résultats concluants sur ce marché. Reste que la communauté économique et financière accorde une grande confiance à l'économiste et Premier ministre Manmohan Singh pour ouvrir l'économie indienne. Cette confiance a été renforcée par la large victoire du parti du Congrès lors des dernières élections législatives, alors que l'on craignait la formation d'une coalition instable. « Manmohan Singh est un excellent expert et il a une équipe de premier plan », affirme Jean-Joseph Boillot. Et de citer le charismatique ministre du Transport routier et des Autoroutes, Kamal Nath. Dernièrement, il a annoncé qu'il comptait multiplier par 10 la vitesse de construction des voies rapides. Une façon de montrer que le gouvernement souhaitait au plus vite combler le manque d'infrastructures. Celui-ci est énorme. Pour soutenir sa croissance, le pays a besoin d'investir de 3 à 4 % de son PIB en infrastructures, selon la Banque mondiale. L'Inde fait souvent figure d'eldorado. Selon Goldman Sachs, elle pourrait même devenir la troisième économie mondiale en 2050. Mais ces prévisions semblent bien enthousiastes au regard des lacunes indiennes. Au côté du problème des infrastructures, celui de l'éducation est crucial. Seulement 80 % des 6-14 ans vont à l'école et beaucoup d'entre eux abandonnent. A peine la moitié des femmes savent lire et écrire. A côté de la réussite insolente des groupes industriels comme Tata, Wipro ou Ranbaxy, 76 % des Indiens vivent encore avec moins de 2 dollars par jour, et 90 % travaillent pour des activités à très faible productivité dans le secteur informel. Paradoxalement, « l'Inde est une petite économie », conclut Jean-Joseph Boillot.