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Dix semaines. C'est le temps qu'il aura fallu à Chris Viehbacher, arrivé aux manettes du quatrième laboratoire pharmaceutique mondial le 1er décembre 2008, pour faire un état des lieux des chantiers à y engager.
Une évaluation rapide car la transformation s'avérait urgente. L'ensemble de l'industrie pharmaceutique est en pleine refonte de son modèle et l'ancien management était resté très flou sur les lignes directrices censées répondre aux défis du secteur.
Les problèmes ont pourtant été identifiés il y a longtemps. Le modèle fondé sur l'exploitation des uniques blockbusters est devenu désormais obsolète. De plus, le contexte de durcissement des conditions d'acceptation des nouvelles molécules sur le marché implique de nouvelles stratégies de recherche-développement.
Ces nécessités, le groupe les a longtemps ignorées, misant tout sur un portefeuille de molécules certes fourni, mais dont aucun produit n'apparaît comme réellement capable d'assurer la croissance future des ventes. L'entêtement de Gérard Le Fur à jouer une grande partie de la croissance future sur la réussite d'Acomplia, la molécule anti-obésité, suivi de l'échec retentissant du projet, est encore dans toutes les mémoires.
Il n'aura donc pas fallu longtemps pour que l'ancien directeur soit écarté et que, sous la pression de Total et de L'Oréal, les deux actionnaires de référence du laboratoire, une nouvelle tête soit imposée aux commandes.
La feuille de route est claire : changer cette stratégie vieillissante et améliorer une communication désastreuse, particulièrement préjudiciable au cours de Bourse de Sanofi-Aventis. Et dans cet exercice périlleux, Chris Viehbacher, excellent communicant, a plutôt bien réussi son examen de passage.
Repenser totalement la recherche-développement
C'était un des axes les plus attendus lors de la présentation du 11 février, et sûrement le domaine où les décisions ont été les plus rapides. Alors que Sanofi-Aventis a consacré en 2008 4,5 milliards d'euros à sa recherche-développement, les dépenses ne devraient pas baisser mais être réorientées vers des projets extérieurs. Plus de trente molécules développées en interne (soit 10 % du pipeline) ont d'ores et déjà été abandonnées, jugées faiblement prometteuses et peu en adéquation avec les besoins des patients.
Une vraie révolution dans un laboratoire qui a toujours privilégié ses innovations propres. « Il faut résister à la tentation de tout faire en interne, a insisté Chris Viehbacher. Le modèle du blockbuster n'est pas mort, mais on ne peut plus compter que sur ça. Il faut tirer profit de ce qui se fait ailleurs et nous abandonnerons sûrement encore des molécules de notre pipeline pour investir en externe. »
Les opportunités sont multiples et les formes que prendra cette nouvelle conception se feront plus précises dans les mois à venir. Rachat de biotechnologies, développement dans les nanotechnologies, partenariats à l'image de celui lié avec Regeneron, permettant d'avoir accès à des petites molécules prometteuses, ou encore multiplication des projets avec les universités « qui participent activement à la recherche »... Le nouveau patron a résolument affiché sa volonté d'en finir avec une organisation centrée sur les compétences internes de l'entreprise.
Diversification sélective
Depuis l'annonce de l'arrivée de chris viehbacher mi-septembre 2008, et avant sa première intervention officielle, nombreuses étaient les prises de parole sur une éventuelle diversification dans de nouvelles activités. développement dans les génériques, renforcement de la division médicaments sans ordonnance, croissance dans les aliments santé après le rachat de l'australien symbion... les spéculations allaient bon train. si la plupart des hypothèses se sont révélées exactes, le nouveau patron a été clair : pas question de se lancer tous azimuts dans de nouvelles activités mal maîtrisées ou d'adopter une stratégie trop globale. « nous privilégions une approche locale en ce qui concerne les génériques », a-t-il expliqué. l'opération de rachat du génériqueur tchèque zentiva, bien que lancée avant l'arrivée de chris viehbacher, illustre à la perfection cette nouvelle approche du marché.
Les atouts que possède historiquement le laboratoire ne sont pas non plus négligeables, à l'image des vaccins avec la division Sanofi-Pasteur. « Les besoins de santé sont énormes dans ce domaine, surtout dans les pays émergents. On doit cesser de considérer que l'on peut réaliser 80 % de nos ventes auprès de 20 % de la population mondiale, et orienter notre regard sur de nouveaux marchés », affirme le directeur général, souvent cité pour son profil très international.
Enfin, l'accent a surtout été mis sur la nécessité de sélectionner les pistes de diversification. La volonté de Chris Viehbacher de développer des activités dans les aliments santé a été plusieurs fois évoquée ces derniers mois. Mais il semble que cette réorientation dans un domaine dans lequel le laboratoire n'a qu'une faible expertise ne soit pas à l'ordre du jour. La priorité sera plutôt donnée aux médicaments sans ordonnance.
Privilégier des acquisitions de petite et moyenne taille
Les grandes lignes sont donc tracées, et la première « sortie » officielle du transfuge de glaxosmithkline a fait forte impression chez les investisseurs, le titre clôturant en hausse de 8 % le 11 février. chris viehbacher a donc réussi son opération séduction. mais la question de la mise en oeuvre concrète de ces lignes directrices dans les activités de Sanofi-Aventis reste encore en suspens. Avec la récente mégafusion de 68 milliards de dollars scellant le rachat de Wyeth par Pfizer, les spéculations sur les futures opérations de consolidation dans la pharmacie vont bon train.
Les rumeurs autour du rachat du spécialiste néerlandais des vaccins Crucell ou d'une possible fusion avec un autre grand laboratoire n'ont pas été commentées. Néanmoins, Chris Viehbacher a été très clair sur sa politique d'acquisitions. « Mon expérience m'a prouvé que les opérations trop importantes ne portaient que rarement leurs fruits. Je ne ferme la porte à aucune possibilité, mais je préfère me concentrer surdes opportunités ciblées, pour ne récupérer que les produits répondant à notre nouvelle stratégie de croissance. J'entends par là des opérations pouvant aller jusqu'à 15 milliards d'euros, pour alimenter les plates-formes de croissance diversifiées que nous détenons déjà », a-t-il répondu aux questions concernant les cibles potentielles.
Le groupe, qui affiche environ 4 milliards de cash-flow par an et est faiblement endetté, a les moyens de ses ambitions.
Répondant aux interrogations sur une rationalisation de l'outil de production, le dirigeant a mis en avant les efforts déjà accomplis dans ce domaine. Grâce notamment à la réduction des sites de production de 79 à 64 unités, le ratio frais commerciaux et généraux sur chiffre d'affaires ressort comme l'un des meilleurs du secteur, passant de 37 % à 26 % en l'espace de dix ans. Si « on ne construit pas la croissance uniquement par une restructuration des coûts », selon ses propres mots, il n'exclut cependant pas une poursuite progressive des efforts.
Des résultats mitigés
Dans ce contexte d'annonces stratégiques, la publication des résultats annuels est presque passée inaperçue. le chiffre d'affaires s'affiche en léger recul, à 27,57 miliards d'euros (- 1,7 %). le résultat net hors éléments exceptionnels s'affiche quant à lui en hausse de 3,2 %, à 7,2 milliards d'euros. sans surprise, ce sont les grands blockbusters, à l'image du lovenox (+ 10,6 %) ou du plavix (+ 10,5 %), qui ont tiré la croissance des ventes, illustrant à la perfection les risques liés à la perte des brevets.
Chris Viehbacher n'a d'ailleurs pas occulté ce problème, soulignant que 20 % du chiffre d'affaires était menacé à l'horizon 2013.
Pour 2009, le groupe prévoit une croissance du BNPA de 7 %, en excluant les retombées négatives liées à un éventuel lancement d'un générique du Lovenox aux Etats-Unis. Un élément peu probable, selon le groupe, étant donné les obstacles à la copie d'un produit d'origine biologique. Le rebond enregistré malgré la poursuite d'un ralentissement de la croissance confirme donc l'importance des espoirs placés dans le nouveau management. Après des mois d'incompréhension grandissante entre la direction du laboratoire et les investisseurs, les nouveaux axes de développement ne porteront certes pas leurs fruits du jour au lendemain. Mais cette « première étape sur une longue route », selon les propres mots de Chris Viehbacher, marque à coup sûr un vrai tournant.
En attendant les effets concrets sur la croissance, la mise au point de cette semaine et la réaction immédiate constatée sur les marchés montrent que le nouveau visage d'un laboratoire boudé depuis plusieurs mois a tout pour séduire.