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Le gouverneur de la Banque centrale européenne vient de monter les taux courts à 4,25 %. Ce faisant, il a quasi confirmé que la récession, qui a probablement commencé en Europe, allait s'aggraver. Pour justifier cette affirmation, il va nous falloir faire un peu de théorie économique. Comme l'a fort bien montré Schumpeter, la croissance économique trouve son origine dans les actions d'un curieux individu communément appelé « entrepreneur ». C'est lui qui prend tous les risques, y compris celui de perdre la totalité de son capital. La rémunération de l'entrepreneur s'appelle le profit. Sur le long terme, dans une économie normalement gérée, le taux de croissance des profits est égal au taux de croissance du PNB (s'il était plus élevé, au bout d'un certain temps, la totalité du PNB serait constitué de profits... ce qui est manifestement idiot). Pour croître, notre entrepreneur a besoin d'argent, et cet argent il le trouve chez les rentiers (vous et moi quand nous déposons notre argent dans un fonds de trésorerie). La rémunération du rentier, c'est bien entendu les taux d'intérêt à court terme qu'il touche sur son épargne. Imaginons une banque centrale incompétente (horresco referens,mais les livres d'histoire en sont pleins, voir le Japon de 1992 a 2000, par exemple) qui maintienne les taux d'intérêt au-dessus du taux de croissance du PNB. Dans ce cas, le coût de l'argent devient supérieur à la rentabilité du capital, et l'économie s'arrête net : pourquoi emprunter à 4,25 % si la rentabilité du capital est à 3 % ? Les entrepreneurs arrêtent d'investir ou vont investir ailleurs, et l'économie se plante. Aujourd'hui, l'Italie, le Portugal, la France, le Danemark (de jure pas dans l'euro, de facto présent), l'Espagne (sans doute) ont des taux de croissance sur les derniers mois inférieurs à 3 %. Ces économies sont en chute libre. Qui plus est, les consommateurs et les producteurs locaux sont l'objet d'une immense augmentation des impôts par l'intermédiaire du prix du pétrole. La politique économique (impôts, taux d'intérêt) est donc incroyablement restrictive. Nous allons tout droit vers une solide récession du type de celle que M. Trichet avait déjà déclenchée dans les années 1990 en France en faisant monter les taux après la réunification allemande. Le chômage va exploser à la hausse, et les déficits budgétaires se creuser à toute allure. Et c'est là où la situation devient intéressante : un pays comme l'Italie a une dette par rapport a son PNB d'environ 110 %. Si son PNB croit de 1 % par an en termes réels et sa dette de 3 %, et que la pression fiscale y est déjà insupportable, on voit mal ou est la porte de sortie. Nous nous trouvons devant un scénario argentin, où la dette se capitalise beaucoup plus vite que la richesse (la France est dans une situation similaire, le stock de dettes étant cependant plus faible). Cette situation, les économistes depuis Keynes l'appellent la « trappe à dettes ». L'écart des taux entre les pays sérieux et les pays non sérieux va donc se creuser : en quelques mois, pour l'Italie, il est déjà passé de 20 points de base à plus de 60... (écart des taux entre les obligations d'Etat). La hausse des taux rend la situation italienne encore plus périlleuse... Lorsque l'euro vit le jour, j'avais écrit un livre, Des lions menés par des ânes, chez Laffont, dans lequel j'expliquais que l'euro sauterait à la première récession européenne. Quelque temps plus tard, j'ai récidivé dans un deuxième livre, C'est une révolte ? Non Sire, c'est une révolution, chez Bourin éditeur cette fois, ce qui prouve qu'à défaut d'avoir raison j'ai une certaine persévérance. Nous y sommes, et les mois qui viennent vont infirmer ou confirmer ma thèse : l'euro est un Frankenstein financier, ce n'est même pas une monnaie, c'est un traité, et il ne peut y avoir une politique monétaire commune pour toute l'Europe, tant les situations de pays à pays sont différentes. Si par malheur j'avais raison, que le lecteur soit bien convaincu d'un fait : je n'en tirerais aucune satisfaction, et le pire c'est que je m'appauvrirais sans doute. Tant il est vrai que les grands bear markets trouvent presque toujours leur origine dans une KOLOSSALE erreur de politique monétaire. *charlesgave@gmail.com