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Après un début d'année difficile, les valeurs moyennes ont repris le chemin de la hausse. L'indice CAC Mid & Small 190 affiche cependant encore un repli de 6 % depuis le 1er janvier. Le Journal des Finances a réuni cinq spécialistes de ce compartiment de la cote pour analyser la situation et débattre des perspectives pour l'année en cours. LE JOURNAL DES FINANCES. Comment expliquez-vous le rebond amorcé depuis quatre mois ? MARIE-ANGE VERDICKT : Ce mouvement est, selon moi, à relativiser : l'indice CAC Mid & Small 190 s'est apprécié de 18 % depuis son plus bas du 21 janvier, mais de seulement 12 % si l'on enlève le groupe minier Eramet, qui a doublé depuis le début de l'année et capitalise... plus de 16 milliards d'euros ! Le CAC Mid & Small 190 affiche toujours un recul de 19 % par rapport à son plus haut de 2007, et le retard atteint même 32 % pour le Small 90 ! Il reste donc beaucoup d'opportunités sur les valeurs moyennes, qui ont été trop sévèrement sanctionnées. Les valorisations demeurent dans l'ensemble raisonnables et les révisions de perspectives sont souvent déjà intégrées dans les cours, comme pour Pierre & Vacances. FRÉDÉRIC PONCHON : Les valeurs moyennes restent attrayantes et, pour évaluer l'ampleur relative de leur rebond, il faut avoir en tête la répartition sectorielle. Le fait qu'elles aient rebondi plus fortement que le CAC 40 s'explique notamment par le faible poids qu'y occupent les valeurs financières, les télécoms et la pharmacie. DANIEL DOURMAP : En effet, la bonne performance de l'indice est à nuancer : en plus d'Eramet, les plus grandes capitalisations se sont très bien comportées, comme Klépierre (5 milliards d'euros), Neuf Cegetel et ADP. Outre cet aspect technique, le recul des valeurs moyennes depuis le début de l'année est aussi lié à des questions de fond. Le mouvement de révision en baisse des perspectives de résultats n'est probablement pas terminé. Le consensus de croissance des résultats, attendue cette année à 10 % par JCF, me semble encore généreux. De plus, l'aversion aux risques a excessivement pénalisé les valeurs moyennes qui sont par définition moins liquides. Par contre, leur moindre dépendance à l'économie américaine leur donne un caractère plus résistant. BRUNO LE CHEVALLIER : Comme toujours, les valeurs moyennes amplifient la tendance boursière générale. Cela explique le décrochage de début novembre 2007, avec un point bas en janvier. Il existe cependant toujours des éléments positifs comme les OPA intervenues sur Geodis et DPAM, avec des primes respectives de 60 % et 80 %, ou encore sur Genesys ou Réponse. De même, la montée de fonds spéculatifs dans certains tours de table, comme Amber chez Guyenne & Gascogne ou Boussard & Gavaudan chez GFI Informatique ou encore les rachats de titres de sociétés par les dirigeants, comme Derichebourg, constituent des forces de rappel salutaires. SÉBASTIEN KORCHIA : Je partage l'avis selon lequel, actuellement, l'évolution des indices se fait en trompe-l'oeil. Les investisseurs se concentrent sur la liquidité, donc sur le haut de la cote, de sorte qu'à investissement constant ce sont les plus grosses des valeurs moyennes qui en profitent. C'est pourquoi, selon moi, le rebond des indices est un baromètre à modérer. Le marché des petites valeurs reste un marché de flux, et ce flux s'est tari en début d'année. LE JOURNAL DES FINANCES. Les éléments qui ont pesé en début d'année (pétrole cher, crise du crédit...) sont-ils pris en compte dans les cours ? BRUNO LE CHEVALLIER : Il y a eu, et il y aura encore, un certain nombre d'« accidents ». Les marchés n'anticipent pas les mauvaises nouvelles, ils les sanctionnent immédiatement et fortement lorsqu'elles se produisent, comme ce fut le cas récemment pour Trigano. Le manque de liquidité et les phénomènes d'arbitrage empêchent les investisseurs de relativiser. FRÉDÉRIC PONCHON : Cela a aussi été le cas de Manitou : le marché a intégré les déceptions de court terme, oubliant la qualité des fondamentaux et les perspectives. BRUNO LE CHEVALLIER : LE SECTEUR ME SEMBLE DURABLEMENT FRAGILISÉ. MÊME SI LA CONJONCTURE EST MEILLEURE EN ALLEMAGNE, ON ASSISTE À UN RALENTISSEMENT EN EUROPE DU NORD ET MÊME DANS CERTAINS PAYS ÉMERGENTS QUI CONNAISSENT DES POUSSÉES INFLATIONNISTES. QUANT AU POIDS DU DOLLAR, DES MATIÈRES PREMIÈRES ET DE L'ÉNERGIE, IL HANDICAPE ENCORE BEAUCOUP DE SOCIÉTÉS. OR IL EST BIEN CONNU QUE CE SONT LES VALEURS MOYENNES QUI ONT LE PLUS DE DIFFICULTÉ À RÉPERCUTER LES HAUSSES DE PRIX À LEURS CLIENTS ! EN TERMES D'ACCÈS AU CRÉDIT, MÊME UN GROUPE COMME SÉCHÉ ENVIRONNEMENT, DONT L'ACTIVITÉ OFFRE UNE BONNE VISIBILITÉ, A DU MAL À FINANCER À DES CONDITIONS INTÉRESSANTES POUR L'ACQUISITION DE LA SAUR. MARIE-ANGE VERDICKT : Le dollar est probablement arrivé à un point bas, les valorisations des sociétés qui y sont fortement exposées (Safran, Lectra...) l'ont déjà intégré, tout rebond de la monnaie américaine aurait un effet immédiat sur ces titres très sous-évalués. Plus largement, nous donnons la priorité aux valeurs qui arrivent à encaisser les éléments négatifs que vous mentionnez. Radiall offre une bonne réponse à la faiblesse du dollar en développant une unité de production importante au Mexique pour mettre des coûts en dollars face à ses ventes américaines. Nous donnons également la priorité aux affaires capables de répercuter la hausse des coûts dans leurs prix, via des marques fortes. Ainsi, une société comme Bonduelle, qui dispose d'une marque internationale et qui continue à gagner des parts de marché, me semble plus intéressante qu'un titre comme Fleury-Michon, très exposé au marché français et concurrencé par plusieurs autres marques... SÉBASTIEN KORCHIA : Je ne suis pas totalement d'accord avec cette analyse. Les valeurs moyennes n'ont pas les mêmes phases boursières que les grandes ! A travers les retraits de liquidités et les prises de bénéfices, elles ont jusqu'à présent été les victimes collatérales de la crise, qui n'était que financière. Aujourd'hui, on s'oriente vers un ralentissement économique, elles pourraient donc souffrir davantage, puisqu'elles sont traditionnellement plus exposées aux cycles industriels. A mon sens, le ralentissement qui se profile devrait donc influencer en priorité ce segment de la cote. En témoigne le mauvais traitement réservé à des titres comme Manitou, Trigano ou Haulotte. Enfin, je deviens sceptique sur le principe du pricing power et de l'intérêt des marques fortes, alors que le pouvoir d'achat des ménages est en berne. FRÉDÉRIC PONCHON : Toutes les sociétés n'ont pas des fondamentaux de qualité équivalente - importance du pricing power, faible exposition aux Etats-Unis, cycle industriel long... Or, on considère depuis un an les valeurs moyennes de façon globale, ce qui fait apparaître de belles opportunités d'investissement. En effet, on trouve beaucoup de titres faiblement valorisés même si, par prudence, nous travaillons avec des multiples qui intègrent le scénario du pire (faible croissance, recul des marges...). Une autre raison d'être optimiste apparaît lorsqu'on regarde qui initie les OPA les actionnaires majoritaires, comme la SNCF sur Geodis, voire les familles fondatrices, qui ont réalisé plusieurs retraits de la cote en Italie ces derniers temps. Le fait qu'ils choisissent d'initier ces mouvements aujourd'hui est un critère manifeste de sous-valorisation. Daniel Dourmap : Le plus dur semble être passé sur la crise bancaire, en revanche les signes de ralentissement économique se multiplient et les révisions en baisse des résultats ne sont pas terminées. Par contre, le moment est venu d'acheter à bon compte les valeurs massacrées. D'autant que le marché primaire se reconstitue, comme le montre le succès du placement de la convertible Vilmorin cette semaine. LE JOURNAL DES FINANCES. Quel type de valeur recherchez-vous aujourd'hui ? MARIE-ANGE VERDICKT : Je continue à rechercher des dossiers dotés de solides perspectives de long terme, avec des valorisations raisonnables et de belles perspectives de croissance des profits. Les thèmes du ferroviaire et des biens d'équipement - Delachaux, Faiveley ou encore Touax - me semblent intéressants. On peut aussi s'intéresser aux économies d'énergie via des valeurs comme le spécialiste de conduits de cheminées Poujoulat ou le distributeur de matériel électrique Rexel. Ce dernier tire partie de la recherche d'économies d'énergie dans le bâtiment. Autre thématique, les valeurs « value » : des sociétés financièrement solides, non endettées et offrant un rendement élevé. C'est le cas de Viel & Cie (6 % de rendement), de U10 (9 %) ou de Toupargel (8 %). Attention, ces ratios élevés ne sont pas dus à une hausse spectaculaire du dividende mais à la chute vertigineuse des cours de Bourse ! Je citerai également Boiron, société défensive qui récolte les fruits de la fusion avec Dolisos. Enfin, je regarde les dossiers cycliques, qui ont déjà largement intégré les risques de recul de leurs résultats, comme Manitou et Haulotte. C'est aussi le cas de sociétés de services informatiques (SSII) comme Devoteam. FRÉDÉRIC PONCHON : Je m'intéresse aussi aux valeurs bénéficiant de cycles longs liés aux investissements dans les infrastructures et les transports comme Nexans, peu exposé au secteur résidentiel et au marché américain, mais qui tire l'essentiel de ses profits de l'équipement des réseaux électriques. Je regarde surtout les valeurs de croissance positionnées sur des niches. Boursorama dispose de perspectives de développement importantes en tant que banque en ligne low cost. Un bilan solide peut aussi permettre de dynamiser la croissance, le plaisancier Bénéteau dispose ainsi de 220 millions d'euros de cash pour réaliser des opérations de croissance externe sur des niveaux de valorisation attrayants. Autre thématique d'investissement, les « fausses cycliques », comme Ipsos qui n'a connu qu'une seule année de décroissance de son activité en trente ans, et affiche une excellente visibilité sur l'amélioration de ses marges. BRUNO LE CHEVALLIER : Les styles de gestion ont changé. Avant, nous recherchions en priorité les valeurs value, c'est-à-dire décotées ou oubliées, alors qu'aujourd'hui on s'intéresse au « momentum », c'est-à-dire au flux de nouvelles et à la croissance des résultats, et on est beaucoup plus méfiant vis-à-vis des valeurs susceptibles de décevoir, même si elles sont bon marché. On le voit avec Vilmorin, qui continue à s'apprécier en dépit d'une valorisation élevée, alors qu'une société comme César demeure à un cours très bas alors qu'elle se paie seulement 2 à 3 fois son résultat d'exploitation. C'est la qualité qui créé la liquidité. DANIEL DOURMAP : La recherche des valeurs de rendement devrait être gagnante à moyen terme. SÉBASTIEN KORCHIA : Les thèmes du rendement et de la valorisation me semblent être des critères nécessaires mais pas suffisants. Dans les années 1998-2002, des titres comme Thermador étaient valorisés 8 fois en dépit d'un rendement de 10 % ! Par ailleurs, si demain les bénéfices reculent, le rendement diminuera. Je regarde de nouveau les « valeurs pouvoir d'achat » : le distributeur de vêtements à bas prix Vêt'Affaires, le comparateur de prix sur Internet Leguide.com... Enfin, plutôt que de jouer les OPA, je préfère les retraits de la cote. En effet, les premières s'observent dans les pics de marché - quand les sociétés recherchent des capacités de production - alors que dans les phases de baisse, les actionnaires majoritaires sont tentés de sortir à bas prix, comme ce fut le cas en 2002/2003. FRÉDÉRIC PONCHON : L'autre différence par rapport à cette période est qu'on sortait d'une bulle, avec des écarts de valorisation très importants qui poussaient à s'intéresser aux valeurs fortement décotées. Aujourd'hui, il vaut mieux se concentrer sur la capacité bénéficiaire des sociétés que chercher des valeurs oubliées. DANIEL DOURMAP : Je privilégie certaines valeurs de croissance : Bureau Veritas, Alten, Ipsos... ; les titres encore raisonnablement valorisés et dont les résultats n'ont pas déçu, comme Bacou-Dalloz ; enfin, ceux qui offrent un bon équilibre rendement/prix. Enfin, il ne faut pas oublier que par rapport aux grandes capitalisations, les valeurs moyennes peuvent offrir l'« alternative gagnante » qui paie cher mais reste attrayante : ainsi dans le secteur de la pharmacie, Stallergènes ou Ipsen plutôt que Sanofi. BRUNO LE CHEVALLIER : Tout à fait. Sur longue période, la performance des valeurs moyennes est bien supérieure à celle des grandes valeurs. Depuis 2000, ce segment de la cote n'a eu à souffrir ni de la bulle TNT ni de la crise des banques. Et sa capitalisation a été multipliée par près de trois depuis mi-2002. Dernier atout : sur ce segment, si certaines valeurs sont mal aimées, d'autres prennent le relais. Qui aurait pu prévoir, il y a deux ans, le succès d'un titre comme Ubisoft, ou la hausse phénoménale de Vallourec ?