JDF |

Premiers actionnaires d'Accor, le fonds américain Colony et la société d'investissement cotée Eurazeo, agissant de concert, ont annoncé qu'ils détenaient 17,52 % du capital du groupe hôtelier et fait part de leur volonté de monter jusqu'à 30 % d'ici à la fin de l'année. Cette montée au capital relance la spéculation sur l'avenir d'Accor.
A quand remonte la présence de Colony...
Tout commence lorsque le groupe Lucien Barrière et Accor décident, en 2004, de fusionner leurs activités de casinos. Le fonds d'investissement américain s'invite et prend alors 15 % du nouvel ensemble. Mais, c'est au cours du premier trimestre 2005 qu'un partenariat financier va lui ouvrir la porte du capital du numéro un français de l'hôtellerie. Ce dernier, dirigé à l'époque par Jean-Marc Espalioux, est en quête d'argent frais et Colony à la recherche d'une opportunité d'investissement juteuse. Colony Capital souscrit alors pour 1 milliard d'euros à une émission d'obligations convertibles (OC) ou remboursables en actions (ORA). Et ce n'est qu'après l'exercice et la conversion de ses obligations, en avril 2007, que le fonds d'investissement s'impose comme le premier actionnaire du groupe hôtelier.
... et celle d'Eurazeo ?
De son côté, Eurazeo est présent dans Accor depuis juin 2005, d'abord via des participations dans ColTime et Colyzeo (deux holdings gérées par Colony). En janvier 2008, une partie des titres détenus par ColTime est transférée à Eurazeo, qui récupère alors 1,5 % du capital d'Accor en direct. Et après avoir acheté des actions sur le marché en avril, sa participation se monte désormais à 8,5 % du capital. Son exposition économique (qui tient compte de ses parts résiduelles dans ColTime) s'élève à 10,4 %. Depuis l'échec du rachat de la Société du Louvre en 2005, la société d'investissement cotée en Bourse s'était fait discrète dans le monde de l'hôtellerie. En scellant un pacte d'actionnaires avec Colony qui court sur cinq ans, elle devient enfin un actionnaire de référence d'Accor.
Ce renforcement au capital était-il prévisible ?
Oui, dans la mesure où Sébastien Bazin, qui gère les activités de Colony pour l'Europe, a toujours dit que son investissement dans Accor s'inscrivait dans une logique de long terme. Il n'est pas étonnant que le fonds profite des niveaux actuels de valorisation, jugés très abordables, pour accroître ses parts tout en « moyennant à la baisse » le prix de revient de son investissement. En résumé, cette montée au capital, nous l'avions vue venir depuis le mois de juin 2007, alors qu'à ce moment-là la rumeur voulait au contraire que Colony vende tout ou partie de ses titres.
Quelle est la position du management d'Accor ?
Officiellement, chez Accor, on se félicite de la montée au capital des fonds d'investissement. Il est vrai que la constitution d'un noyau dur d'actionnaires institutionnels - qui dit agir à titre amical et donc siégeant au conseil d'administration - est de nature à protéger le groupe de l'hostilité d'éventuels prédateurs. Cela dit, Accor reste une société opéable qui évolue dans un secteur d'activité où le processus de consolidation, notamment en Europe, est loin d'être achevé.
Comment interpréter cette montée dans le capital ?
A en juger par la réaction de la Bourse, qui s'est traduite par une hausse de 1,09 % de l'action le 5 mai, jour de l'annonce, la nouvelle a été plutôt bien accueillie. Non sans raison pour une majorité d'observateurs qui voient dans le renforcement des parts de Colony et d'Eurazeo un gage de confiance dans la stratégie du groupe.
Mais, dans le même temps, la montée des fonds va s'accompagner d'une pression accrue sur le management d'Accor, avec l'obligation d'assurer une revalorisation rapide du titre. Ce qui pourrait induire dans les faits de nouvelles cessions d'actifs.
Certains vont jusqu'à imaginer une scission des deux métiers sur lesquels le groupe s'est recentré : l'hôtellerie d'un côté et de l'autre les services associés (cartes, chèques et tickets restaurant). Ce pôle ayant par la suite vocation à être introduit en Bourse. Car le potentiel des services n'est à ce jour que très partiellement intégré dans la valorisation d'Accor. Pourtant, il s'agit d'un relais de croissance qui contribue déjà pour un tiers au bénéfice d'exploitation. Toutefois, une mise en Bourse n'aurait de sens qu'à l'horizon 2010, une fois achevé le plan de développement en cours. D'ailleurs, la direction d'Accor avait déjà étudié cette option par le passé, avant de conclure qu'elle ne présentait pas grand intérêt.
Colony et Eurazeo font-ils un bon investissement ?
La dégringolade de l'action du groupe hôtelier depuis l'été 2007 limite les gains potentiels de Colony. Toutefois, à ce stade, Colony reste gagnant car il était rentré sur la base d'un prix de 43 euros pour ses obligations convertibles et de 39 euros pour ses obligations remboursables en actions.
Du côté d'Eurazeo, la situation est plus critique, avec un prix de revient estimé autour de 54 euros par action : un niveau qui correspondait aux cours en date du 7 mai. En l'état actuel des choses, les deux fonds ne perdent pas d'argent sur Accor, mais ils n'en gagnent pas beaucoup non plus.
Par ailleurs, Sébastien Bazin peut nourrir certains regrets. Lui qui visait au départ un cours supérieur à 60 euros n'a eu, jusqu'à l'été 2007, qu'à se féliciter de son investissement. Car, en plus de copieux dividendes reçus et de l'impact relutif des rachats d'actions (mis en oeuvre dans le cadre de la politique de retours aux actionnaires), la barre des 60 euros a été atteinte et même dépassée ; le cours se hissant à un plus haut historique de 73 euros en juillet 2007. Seulement, au lieu de prendre ses bénéfices, Colony a laissé passé l'occasion (dans l'espoir d'accroître son gain potentiel). Or, depuis l'été 2007, le cours du groupe hôtelier a abandonné près d'un quart de sa valeur. Non parce qu'Accor a déçu sur ses résultats, mais à cause du retournement général des marchés financiers et de la défiance des investisseurs à l'égard des valeurs cycliques.
S'achemine-t-on vers une prise de contrôle ?
A priori non. Même avec 30 % du capital, Colony et Eurazeo resteront au-dessous du seuil légal des 33 % qui les obligerait à lancer une OPA. D'ailleurs, les deux actionnaires n'ont de cesse de répéter qu'ils agissent à titre amical et n'ont aucun doute sur la stratégie d'Accor. Mais au-delà des discours de bonne intention, les faits montrent que le groupe hôtelier n'est plus à l'abri d'une prise de contrôle rampante, surtout si des divergences de vues éclatent. Car des luttes d'influence pourraient rapidement se faire sentir, surtout si la déprime actuelle du cours de Bourse se prolonge. Ce qui finira forcément par user la patience de Colony et d'Eurazeo. Dès lors, ces derniers pourraient exiger de la direction d'Accor qu'elle prenne les devants avec des mesures radicales destinées à redynamiser le titre.
La perspective d'une pression accrue exercée par les fonds n'est donc pas à prendre à la légère. Ce qui explique pourquoi Serge Weinberg (président du conseil de surveillance) exige d'Eurazeo qu'il clarifie ses intentions avant de venir siéger au conseil d'administration d'Accor, au côté de Colony.
Quelle est l'influence réelle des fonds ?
L'expérience passée montre que l'influence de Colony peut aller bien au-delà de celle d'un actionnaire classique qui vote une fois l'an en assemblée générale. Sébastien Bazin siège au conseil d'administration du groupe hôtelier et a son mot à dire sur la conduite des affaires du groupe. Bien qu'il s'en défende, Colony a joué un grand rôle dans la nomination du tandem Serge Weinberg (ancien dirigeant de PPR) - Gilles Pélisson (neveu de l'un des deux fondateurs d'Accor) à la présidence du conseil de surveillance et du directoire.
La présence des fonds n'est pas non plus étrangère à l'adoption d'une culture des résultats qui a longtemps fait défaut au groupe. Ainsi, depuis l'arrivée de Colony, les cessions d'actifs non stratégiques (participation dans Club Méditerranée...) ou insuffisamment rentables (Red Roof aux Etats-Unis, la restauration collective en Italie) se sont accélérées. De même que les ventes de murs d'hôtels se sont intensifiées. Et pour cause, ce sont elles qui financent l'augmentation de la capacité d'hébergement, avec 200.000 chambres supplémentaires prévues sur la période 2007-2010.
NOTRE CONSEIL
L'attrait spéculatif sur Accor est renforcé par la montée au capital de ses deux actionnaires de référence et par l'activisme qui pourrait s'ensuivre. Viser 70 euros sous dix-huit mois (code : AC, Comp. A, SRD).

On peut aussi jouer la carte Eurazeo avec un objectif à 100 euros. Le fonds prend un risque limité. Son investissement direct dans Accor ne dépasse pas 10 % de son actif net réévalué (code : RF, Comp. A, SRD).