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Il aura fallu des scènes de violence en Egypte ou à Haïti pour que l'opinion publique internationale mesure pleinement les conséquences de la hausse durable des prix des matières premières agricoles. Le Journal des Finances revient sur les causes de ce choc alimentaire et sur son impact sur les sociétés cotées en Bourse. Comment s'explique cette flambée des cours ? Des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles expliquent ce phénomène. La croissance économique dans les pays émergents, notamment en Chine et en Inde, s'accompagne d'une amélioration du niveau de vie des populations locales et d'un changement de leurs habitudes alimentaires. Les Chinois consomment ainsi plus de protéines d'origine animale. Or pour produire un kilo de viande, il faut entre trois et sept kilos de céréales ! A cela s'ajoutent les aléas climatiques (hivers rigoureux dans certaines régions, sécheresse, etc.), qui ont notamment affecté les récoltes en 2007. Personne ne peut prévoir d'une année sur l'autre ce type de problèmes, mais les changements induits par le réchauffement de la planète ne laissent rien augurer de bon. La FAO (organisation des Nations unies pour l'alimentation), qui prévoit une augmentation de 2,6 % de la production mondiale de céréales en 2008, indique dans son dernier rapport qu'un nouvel incident climatique serait désastreux car les réserves mondiales de céréales sont épuisées. En effet, les stocks n'ont jamais été aussi bas alors que rien ne permet d'anticiper un quelconque fléchissement de la demande. Quel rôle joue l'essor des biocarburants ? « Si l'on veut couvrir 20 % des besoins énergétiques avec des biocarburants, comme cela est prévu, il n'y aura plus rien à manger» Ces propos tenus par Peter Brabeck, président du conseil d'administration de Nestlé, soulèvent un problème crucial. Les subventions accordées aux Etats-Unis et en Europe ont conduit de nombreux agriculteurs à arbitrer au détriment des cultures vivrières. Entre 15 et 25 % des surfaces de maïs aux Etats-Unis seraient destinées aux biocarburants. Et si l'on ajoute à cela les risques de déforestation massive au Brésil pour planter de la canne à sucre, ou en Indonésie pour produire de l'huile de palme, les biocarburants n'ont plus rien d'écologique. La France ne semble cependant pas prête à revoir son objectif d'atteindre un taux d'incorporation de bioéthanol à l'essence ou au diesel de 7 % à l'horizon 2010. Même chose au niveau européen, où la Commission ne souhaite pas réduire ses objectifs alors que la production de carburants verts de deuxième génération, fabriqués à partir de matières cellulosiques, en est à peine à ses balbutiements. La crise financière alimente-t-elle la hausse ? Non, la crise financière n'est pas responsable de la flambée des prix des matières premières agricoles qui a débuté fin 2006. Les raisons sont structurelles, comme nous l'avons dit précédemment. La désaffection des investisseurs pour les marchés actions a cependant alimenté le phénomène. De nombreux professionnels ont pris des positions sur le maïs, le blé, le coton, le café ou le cacao à travers des certificats ou des fonds. Les matières premières agricoles sont devenues une véritable classe d'actifs. Comment sortir de cette crise ? Des mesures d'urgence devraient être prises rapidement pour venir en aide aux pays les plus pauvres, où les dépenses alimentaires représentent 60 % des revenus. Certains remèdes comme les restrictions aux exportations atténueront un peu les symptômes de la crise, mais, sur le long terme, la tension sur les prix des produits de base devrait perdurer. Comme la population mondiale ne cesse de croître, il faudra augmenter, dans la mesure du possible, les surfaces cultivables dans le monde (fin des jachères en Europe, par exemple) et améliorer les rendements. Ce qui ne manquera pas de poser des problèmes de pénurie d'eau, l'agriculture en étant fortement consommatrice. Quelles sont les conséquences sur les sociétés cotées en Bourse ? Premières victimes désignées de la forte hausse des cours du blé, du lait, etc., les sociétés agroalimentaires s'en sortent plutôt bien si l'on s'en tient aux performances de Nestlé et de Danone. Dans un contexte difficile, marqué par le débat sur le pouvoir d'achat et par des tensions avec la grande distribution, les deux grands groupes ont relevé leurs tarifs. Du coup, croissance et amélioration des marges sont au rendez-vous. Nestlé s'est même offert le luxe de relever récemment ses prévisions pour 2008. Un pricing powerélevé, associé au recentrage sur les produits à forte valeur ajoutée, permet donc d'atténuer ce choc. Les choses sont moins faciles pour les sociétés plus petites. Bonduelle est obligé de payer 20 à 25 % plus cher ses approvisionnements en maïs doux ou en pois, les agriculteurs ayant, sinon, la tentation de planter des céréales ou du maïs destinés au bioéthanol. Dans le domaine de l'alimentation animale, le phénomène est à double tranchant. Des sociétés comme Provimi et, dans une moindre mesure, Evialis, qui réalise encore la majeure partie de son chiffre d'affaires en France, profitent de l'amélioration des conditions d'élevage dans les pays émergents. Mais elles peuvent difficilement répercuter à leurs clients l'intégralité des hausses des cours du maïs ou du soja. Leurs marges sont sous pression. Qui profite de la situation ? Les premiers à en bénéficier sont bien sûr les grands groupes céréaliers mondiaux comme Cargill, Bunge et Archer Daniels (le seul des trois à être coté en Bourse), qui vendent près de 90 % des céréales échangées dans le monde. Par ailleurs, la nécessité d'augmenter les surfaces cultivées et d'accroître les rendements favorise directement les producteurs de semences comme Vilmorin, Monsanto, Pioneer (filiale du chimiste Dupont de Nemours) ou Syngenta. En Bourse, l'action Vilmorin affiche d'ailleurs une belle résistance depuis le début de l'année, portée par les perspectives d'un doublement de la croissance du marché mondial de la semence. Enfin, grâce à l'augmentation de leurs revenus, les agriculteurs investissent de plus en plus dans les technologies leur permettant d'améliorer la productivité. Ce qui profite à Exel Industries, leader mondial des techniques de pulvérisation de précision. Fin 2007, le groupe a acquis le danois Hardi, numéro deux mondial de la pulvérisation agricole, lui permettant d'accroître la part de son chiffre d'affaires dans l'agriculture.