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Emmanuel Picot se dit « cool mais professionnel ». Si le tutoiement est de rigueur dans sa société, c'est pour mieux motiver ses équipes. Allier travail et plaisir pour atteindre la performance. Car Emmanuel Picot est un perfectionniste qui s'assume : « Je ne lâche jamais rien. » Cool, donc, mais entêté.
Une ambivalence qui se confirme par ailleurs. En interview, sa voix est posée, mais ses gestes trahissent de l'impatience. Derrière la douceur de ses yeux clairs, son regard vif et pénétrant révèle une inflexible pugnacité. Emmanuel Picot cultive les paradoxes... naturellement.
Comment pourrait-il en être autrement pour ce Gascon, troisième d'une famille de quatre enfants, élevé dans l'esprit strict et cartésien d'un père ingénieur et nourri à la sensibilité créatrice et extravagante d'une mère artiste peintre ? Les bases clés pour forger un entrepreneur : à 46 ans, l'homme est un pur concentré de rigueur et d'imagination, « un matérialiseur d'idées », comme il se plaît à résumer.
Trop à l'étroit dans son costume d'ingénieur
Emmanuel Picot a mis du temps à trouver sa voie. Bien que son instinct d'étudiant lui dicte d'intégrer une école de commerce, il suit les traces de son père et s'engouffre dans des études d'ingénieur. Mais dès son premier poste chez un fabricant de produits chimiques pour arts graphiques, son costume de technicien est déjà trop étroit.
Il saisit l'occasion d'assister l'équipe commerciale, voyage alors aux quatre coins du monde et se découvre un talent pour la vente. Un métier qu'il ne lâchera plus. De chef marketing, il devient un commercial grands comptes pour un spécialiste des stations de travail dont il crée ensuite, en France, une filiale de vente de logiciels de traitement d'image.
Puis vient une rencontre inopinée avec un fabricant d'imprimantes d'étiquettes d'où surgit l'idée de monter une entreprise dans l'impression de cartes plastiques. Emmanuel Picot emprunte 100.000 francs à son père et lance l'affaire, aidé par Cécile Belanger, Serge Olivier, Didier Godard puis Yves Liatard. La société Privilège Card est un succès. Les cinq quadras revendent leurs parts 18 fois leur mise initiale au distributeur américain Eltron. Tout se complique ensuite avec le rachat de ce dernier par le géant Zebra. Ce mariage à trois isole le clan français. Avide d'autonomie, Emmanuel Picot persuade ses quatre collaborateurs de démissionner pour cofonder Evolis.
L'aventure prend des allures de défi. Celle du Petit Poucet face à l'ogre américain. L'objectif ? Repartir de zéro, séduire des pays d'Asie et une plus large clientèle (associations, banques) pour s'imposer sur le marché, en évitant d'attaquer de front Zebra.
Un an de « galère » jusqu'à l'obtention, en mars 2001, d'une commande de 100 machines pour 1 million de francs auprès d'une société coréenne. « Ce contrat décisif nous a permis de sortir la tête de l'eau et d'envisager l'avenir avec sérénité », se souvient avec fierté Emmanuel Picot.
Un ancien adepte de l'« entreprise buissonnière »
Le plus difficile dans la fonction de dirigeant : « Etre capable de trouver l'énergie chaque matin. » Pour se ressourcer, il s'est longtemps exercé aux arts martiaux. Il avoue même avoir parfois pratiquél'« entreprise buissonnière », s'échappant ainsi des affaires quelques après-midi durant. Aujourd'hui, c'est avec ses trois jeunes enfants qu'il décompresse. Il leur consacre pleinement ses week-ends, en veillant à être présent autant que possible en semaine. Un équilibre nécessaire pour gérer les moments plus délicats, comme la baisse de 30 % enregistrée par l'action Evolis depuis l'été dernier. « Je n'ai jamais vu Emmanuel déstabilisé, confie Cécile Belanger. Il fait preuve de sang-froid en toute circonstance car il a confiance dans les perspectives de l'entreprise », ajoute encore sa directrice financière.
A la question de savoir s'il envisage un avenir après Evolis, Emmanuel Picot sourit d'abord de façon convenue : « Mon départ de la société n'est pas à l'ordre du jour. » Avant de lancer, un brin songeur : « Pourquoi pas ! J'aime ne pas savoir ce que demain me réserve. » La tête remplie d'idées à revendre, il confie que les énergies renouvelables sont actuellement un de ses sujets de réflexion favoris...