Depuis le début de l'année, les valeurs sont massacrées en Bourse. Les grands groupes comme LVMH, Richemont ou Hermès accusent des replis de plus de 20 %. Les incertitudes qui planaient sur leur niveau d'activité aux Etats-Unis en décembre 2007, après l'annonce des chiffres décevants des grands magasins haut de gamme Saks ou Neiman Markus, ont pourtant été levées à l'annonce des bons résultats annuels du leader mondial du secteur, le groupe LVMH, qui a fait état d'une croissance de plus de 15 % outre-Atlantique, avec une accélération sur les derniers mois. Même constat chez Gucci (groupe PPR) ou chez Hermès, lequel, après avoir fait preuve de prudence dans ses prévisions l'an dernier, a finalement publié un chiffre d'affaires annuel meilleur que prévu. Mais le secteur continue à subir les foudres des investisseurs inquiets des conséquences du ralentissement économique américain tant sur les ventes de produits de luxe que sur les économies émergentes où se trouvent les principaux relais de croissance de l'industrie du luxe. Il est difficile, pourtant, d'imaginer que la clientèle américaine de Vuitton, Prada ou d'autres grandes marques soit d'emblée affectée par la récession économique. Surtout si cette dernière ne dure que deux ou trois trimestres. « Nous visons une clientèle aisée, avec un pouvoir d'achat élevé. L'impact de la récession aux Etats-Unis sera limité, voire inexistant sur le groupe », déclarait Bernard Arnault, en marge de la présentation des résultats 2007 de LVMH. Et si l'exercice en cours portera effectivement les stigmates d'un fléchissement de l'activité outre-Atlantique pour les groupes de luxe, la situation est déjà largement intégrée dans les cours de Bourse. La faiblesse du dollar pèse sur l'ensemble des valeurs du secteur Reste un point noir persistant : la faiblesse du dollar. Selon une étude publiée en novembre par Bain & Company, l'euro fort aurait coûté 3 à 4 points de progression au secteur en 2007, réduisant de près de moitié sa croissance. Mais le phénomène n'est pas nouveau pour les acteurs du luxe, qui produisent en euros et réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires en dollars ou en yens. LVMH reste le groupe le plus fortement exposé à la monnaie américaine. C'est aussi le cas de Richemont, mais, pour ce dernier, plus d'un quart de ses coûts opérationnels (achats de pierres et de métaux précieux, notamment) sont libellés dans cette devise. Cependant, ces deux groupes disposent d'une certaine marge de manoeuvre en termes de relèvement des prix. L'an dernier, Louis Vuitton aurait relevé ses prix de vente à trois reprises sans que cela affecte le dynamisme de ses ventes. Selon les analystes d'Oddo Securities, Richemont aurait, de son côté, augmenté de 5 % ses tarifs aux Etats-Unis au premier semestre 2007/2008. Un développement concentré sur les pays émergents Ce qui prouve bien que la demande de produits de luxe ne faiblit pas. En 2008, la progression du marché est attendue entre 7 et 9 %, mais la plupart des groupes cotés en Bourse devraient continuer à afficher une croissance supérieure, dopée notamment par la frénésie de consommation de la clientèle aisée issue des pays émergents. Si les Etats-Unis restent encore le principal débouché du secteur, c'est de Chine, d'Inde ou de Russie que viendra la croissance dans les années à venir. Goldman Sachs prévoit une progression du marché du luxe de l'ordre de 20 % en Chine pour 2008 et 2009. Dans moins de dix ans, l'empire du Milieu deviendra ainsi le premier consommateur de luxe dans le monde. Du coup, les grands noms du secteur accélèrent l'ouverture de nouvelles boutiques dans ces régions. LVMH comptait 409 magasins en Asie en 2007. Louis Vuitton devrait en inaugurer prochainement à Hongkong, au Qatar et aussi en Roumanie. Sur les 17 magasins que le groupe Gucci prévoit d'ouvrir en 2008, une douzaine seront situés dans les pays émergents. Autre source de croissance dans les années à venir : les acquisitions. Après la vague d'opérations de la fin des années 1990 et du début des années 2000, qui a permis de bâtir de véritables empires du luxe, les acteurs du secteur avaient marqué une pause dans leur croissance externe. Une pause forcée, le temps d'intégrer les proies, de desserrer la contrainte financière et d'attendre que les valorisations des cibles retrouvent des niveaux plus raisonnables. Mais les grands noms du luxe se retrouvent à nouveau dans une posture favorable pour élargir leur périmètre sur un marché qui reste encore très éclaté. Leurs bilans sont particulièrement sains. Au 31 décembre 2007, la dette nette de LVMH représentait 25 % de ses fonds propres, et celle de PPR 57 % (le ratio va encore diminuer grâce à la cession d'Yves Saint Laurent Beauté à L'Oréal). Et ils disposent d'importantes lignes de crédit (à hauteur de 4,7 milliards d'euros pour PPR, par exemple). Quant à Richemont, sa trésorerie nette excède le milliard d'euros. Par ailleurs, tous ces groupes pourraient profiter des difficultés rencontrées par les grands fonds d'investissement pour financer leurs opérations de LBO, ce qui élimine de facto certains concurrents. Du côté des proies potentielles, les conditions semblent également réunies pour que des opérations de rapprochement aient de nouveau lieu. Certaines sociétés familiales, toujours indépendantes mais qui seront tôt ou tard confrontées à des problèmes de transmission, pourraient éprouver le besoin de s'adosser à de grands noms du secteur. Ceux-ci peuvent leur apporter des moyens financiers supplémentaires pour leur développement (toutes les marques étendent leur réseau de magasins en propre) et pour améliorer leur visibilité (les dépenses marketing et publicitaires sont colossales dans le secteur). Conséquence de tout cela, des rumeurs circulent régulièrement sur des mouvements de concentration potentiels. Dernière en date : L'Oréal, qui détient déjà la licence pour les parfums Armani, prendrait 20 % du capital du couturier italien. Ce qui a pour l'heure été démenti. De manière générale, tous les acteurs de taille plus restreinte font régulièrement l'objet de spéculations. L'an dernier, Hermès a flambé en Bourse (le titre reste d'ailleurs le mieux valorisé de l'univers du luxe), porté par le supposé intérêt d'Albert Frère. Certains observateurs imaginaient même que l'homme d'affaires belge oeuvrait pour le compte de son ami Bernard Arnault. Le joaillier italien Bulgari nourrit lui aussi de nombreux fantasmes. La spéculation, qui avait permis au titre de passer la barre de 12 euros, est néanmoins retombée depuis quelques mois. Mais, compte tenu de l'actuelle parité euro/dollar, les grands acteurs du luxe - tous européens (LVMH, Richemont, Gucci) - pourraient plutôt aller chercher leurs cibles de l'autre côté de l'Atlantique. Acquisitions en vue aux Etats-Unis Pour de nombreux observateurs, le joaillier américain Tiffany fait figure de proie idéale pour LVMH. Le numéro un mondial du luxe, qui ne réalise que 5 % de ses ventes dans l'horlogerie et la bijouterie, chercherait à renforcer ses positions sur ce segment de marché en forte croissance. Les exportations horlogères suisses ont ainsi progressé de 16,2 % l'an dernier. PPR, de son côté, pourrait s'attaquer à des groupes comme Coach (maroquinerie) ou Ralph Lauren (prêt-à-porter). Ce dernier a par ailleurs créé une coentreprise avec le suisse Richemont dans les montres, qui pourrait déboucher sur une alliance capitalistique. Les perspectives des acteurs du luxe sont donc loin d'être aussi sombres que certains ne le craignent. Dans ces conditions, les valorisations boursières actuelles semblent excessivement basses. Le PER actuel du secteur est bien inférieur à sa moyenne historique, qui se situe à 20,7 fois, et très proche de ses plus bas niveaux atteints lors de la crise asiatique de 1998. « Nous considérons que le secteur est globalement moins cyclique que par le passé du fait du meilleur équilibre de sa base de clientèle. La mauvaise dynamique des achats de ses premiers clients, les Japonais, a ainsi été parfaitement absorbée sur la dernière période, notamment grâce à la très forte croissance des clientèles émergentes », notaient récemment les analystes d'Oddo Securities.