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Chevelure noire somptueuse, barbe et moustache blanches à l'avenant, éternel costume noir à col Mao, Patrick Alès ne passe pas plus inaperçu dans une réunion d'analystes financiers que dans son très chic salon Caron, rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. Le fondateur d'Alès Groupe, spécialiste des soins du cheveux (Phyto), du corps (Lierac) et des parfums (Caron), est un véritable personnage de roman. L'annonce, il y a dix jours, de son retrait de la direction opérationnelle de sa société, dont il conserve la présidence non exécutive, n'est qu'un nouvel épisode d'une saga dont les premiers chapitres se sont écrits bien loin de l'univers de la cosmétique. Paradoxalement, c'est un échec qui va révéler sa véritable vocation. A 35 ans, en 1965, Patrick Alès a déjà derrière lui une longue carrière de « coiffeur pour dames ». Arrivé à Paris après la guerre, il a été embauché comme garçon coursier dans le plus grand salon de coiffure de l'époque, sur les Champs-Elysées. Lui que son père rêvait architecte s'est découvert un tout autre but : « rendre les femmes plus belles ». Ayant gravi progressivement tous les échelons, il excerce en France et coiffe des têtes couronnées à l'étranger, passe ses vacances à Saint-Tropez et voit défiler ceux que l'on n'appelle pas encore « people », d'Edith Piaf à Jacky Kennedy ou Brigitte Bardot. Mais l'aventure tourne court lorsqu'il se retrouve évincé de son salon, qui compte une cinquantaine de personnes, après un différend avec son associé. Son nouveau départ lui vient d'une demeure provençale achetée avec son épouse, et où a exercé une guérisseuse. Il y découvre les plantes et leurs vertus. Fort de son expérience dans la beauté, et poussé par ses proches qui apprécient les décoctions que le couple fabrique artisanalement, Patrick Alès créé en 1969 Phytosolba. La société deviendra Alès Groupe - un nom qui reprend les dernières syllabes de son patronyme d'origine. Car Patrick Alès est né Jésus Gonzalès en 1930 à Santander, en Espagne, dans la modeste famille d'un ébéniste. Ayant dû fuir à 7 ans la guerre civile qui ravage son pays, il a traversé huit années de grand dénuement en France, dans une famille d'accueil amiénoise où il oublie jusqu'à sa langue maternelle. « J'ai souvent eu faim », glisse-t-il pudiquement. Il a gardé de ces années l'optimisme acharné de ceux qui ont souffert, mais a choisi de troquer son prénom contre celui de Patrick, « parce que c'était à la mode, et que Jésus n'était pas envisageable dans un salon de coiffure ! » Un précurseur méconnu A 78 ans, Patrick Alès, est aujourd'hui à la tête d'une société de 750 personnes, cotée en Bourse depuis 1996. Mais le rôle qui lui tient le plus à coeur est celui de précurseur, souvent méconnu. De ses années de coiffeur de célébrités, il a conservé le Salon Patrick Alès, à Paris, mais aussi quelques titres de gloire : en 1964, il invente le procédé du Brushing, brevet qui sera racheté dix ans plus tard par L'Oréal. Surtout, à une époque où les grands groupes de cosmétiques ne juraient que par les procédés chimiques et technologiques, il a compris les vertus du « soin par les plantes », principe de base des produits qu'il commercialise. A l'heure où la phytothérapie et le bio sont devenus incontournables, cet homme au tempérament bien trempé ne peut s'empêcher d'être un brin nostalgique.« Je suis allé voir L'Oréal dès 1967, ils n'ont pas voulu de mes »remèdes de bonne femme* », lâche-t-il. Il avoue d'ailleurs qu'il aurait probablement rejoint le groupe de cosmétiques si la réponse avait été différente... Ironie de l'histoire, de 1978 à 1995, L'Oréal contrôlera 44 % du capital d'Alès. Mais Patrick Alès n'est pas du genre à cultiver l'amertume. D'autant qu'il vient de commencer une nouvelle vie. Certes, son fils Romain, 47 ans, jusque-là directeur général délégué, ne reprendra pas le flambeau - il s'occupera de la marque Caron. Mais c'est Lorenza Batigello, auparavant chargée de la filiale italienne, et ancienne de... L'Oréal, qui prend la tête de la société. Pour sa part, l'ancien coiffeur compte passer davantage de temps avec sa plus jeune fille, responsable d'un domaine de plusieurs hectares près de Châteauroux, où sont réalisées les nouvelles cultures de plantes pour le groupe. Car Patrick Alès souhaite désormais se consacrer à sa passion : la recherche. Une « récompense » pour celui qui s'est toujours rêvé « médecin du cheveu ». Il en est convaincu : « la recherche sur les plantes n'en est qu'à ses balbutiements ». De son existence à facettes, Patrick Alès a encore plus d'un chapitre à écrire.