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La date du 5 mai 1925 est totalement oubliée. Elle n'en marque pas moins un des événements les plus importants de l'entre-deux-guerres, puisqu'il participa au déséquilibre de l'économie mondiale qui conduisit à la crise des années 1930 et, finalement, à la Seconde Guerre mondiale. Ce jour-là, donc, Winston Churchill, chancelier de l'Echiquier du gouvernement conservateur anglais, fait voter par la Chambre des communes un bill qui rétablit l'étalon aux parités d'avant-guerre. La livre sterling, alors représentée usuellement par le souverain, vaut à nouveau 7,3228 g d'or fin, ou 4,86 dollars. Soit une réévaluation d'environ 10 %.

L'Angleterre veut retrouver son rôle de banque mondiale

Si Churchill porte devant l'histoire la responsabilité de la décision, celle-ci était en gestation depuis la fin de la guerre. Les milieux dirigeants britanniques, mais aussi l'opinion vivent comme une atteinte au prestige britannique la chute de la livre, qui, en 1920, avait glissé jusqu'à 3,20 dollars. Et la City, pour des raisons financières évidentes, fait campagne pour que l'Angleterre retrouve son rôle de banquier du monde et « cette suprématie dont elle tirait des avantages financiers, commerciaux et politiques considérables » (1).

La commission Cunliffe (alors gouverneur de la Banque d'Angleterre), instituée pour étudier les questions de monnaie et de change, avait, dans son rapport de décembre 1919, proposé le retour à l'étalon or aux parités d'avant-guerre et déterminé les politiques à suivre pour assainir le système monétaire britannique et absorber l'inflation fiduciaire née de la guerre. Contrairement à ce qui se passe en France, en Angleterre, les commissions servent, les rapports ne sont pas systématiquement enterrés.

La commission Cunliffe est entendue, et les pouvoirs publics mènent, plusieurs années durant, une efficace politique de déflation graduelle. La hausse des impôts permet d'équilibrer le budget, qui passe d'un déficit de 231 millions de livres pour l'exercice 1920/1921 à un excédent de 4 millions en 1924/1925. Il est vrai que le pays n'a pas, quant à lui, des régions entières à reconstruire. L'amortissement de la dette est accéléré : l'encours des bons du Trésor, qui, à la fin de la guerre, avait atteint le milliard de livres, est redescendu à un peu plus de 600 millions. La livre a amorcé son redressement et les capitaux étrangers ont repris le chemin de la City.

Bref, le pays est techniquement prêt pour l'opération de réévaluation monétaire que Churchill fait voter ce 5 mai. L'Angleterre retrouve l'étalon or d'avant-guerre. Mais avec une nuance importante qu'il convient d'expliquer. Il y a trois systèmes d'étalon or : le gold standard, qui permet d'échanger les billets contre des pièces d'or ou des lingots, le système d'avant-guerre ; le gold bullion standard, qui limite la convertibilité des billets aux lingots et avec un seuil minimal important ; et le gold exchange standard, qui autorise seulement la conversion des billets en devises étrangères. C'est le gold bullion standard que Churchill retient : à l'intérieur, l'échange de billets ne peut se faire que pour un montant d'au moins 400 onces d'or fin, et, à l'extérieur, l'embargo sur les exportations d'or est levé. A noter que le ministre s'est ménagé le soutien de l'Amérique contre la spéculation. Le dossier des dettes de guerre est réglé, Londres paiera. La Banque d'Angleterre s'est assuré d'un crédit de 200 millions de dollars auprès de la Federal Reserve, et la trésorerie britannique de 100 millions chez la maison JP Morgan. Effectivement, tout se passe bien. Du moins au début. Les capitaux étrangers affluent à Londres. La City rayonne. La Banque d'Angleterre a retrouvé son arrogance, tout comme son gouverneur, Montagu Norman, qui, un jour, fait faire antichambre quarante-huit heures durant à son homologue de la toute jeune Banque centrale de Pologne. Emile Moreau, de la Banque de France, a laissé un savoureux récit de sa première rencontre avec lui : « Il semble sorti d'une toile de Van Dyck : figure allongée, barbe en pointe, grand chapeau, il a l'allure d'un compagnon des Stuarts... Il n'aime pas les Français. Il me dit littéralement : "Je veux bien aider la Banque de France. Mais je hais votre gouvernement et votre trésorerie. Pour eux, je ne ferai rien". » (2).

Keynes contre le retour de l'étalon or

Certains, néanmoins, crient casse-cou. Keynes en tête, qui, dès juillet 1925, signe trois articles contre le retour à l'étalon or, dont une version augmentée est publiée sous le titre « The Economic Consequences of Mr Churchill ». Keynes, qui a entamé sa croisade contre la « relique barbare », fait le procès de cette politique déflationniste qui renchérit les produits anglais à l'exportation et conduit à la baisse des salaires. L'avenir lui donnera raison : une vague de grèves va recouvrir le pays, les journaux y compris.

Ce qui conduira le gouvernement à publier la British Gazette et à utiliser la radio naissante. Finalement, le retour à l'étalon or plongera l'Angleterre dans la récession, et Churchill, dit-on, aurait confié durant la guerre qu'il avait commis là la plus grande erreur de sa vie. Ce qui est sûr, c'est que dans le passage de ses Mémoires concernant cette époque l'homme d'Etat ne fera même pas allusion à cette réforme monétaire, se contentant d'affirmer par antiphrase qu'au terme de son ministère « la masse de la population vivait nettement plus à l'aise » (3).

Et, pendant ce temps, en France, les sardinières de Douarnenez obtiennent 30 % d'augmentation après une grève d'un mois et demi, au cours de laquelle les marins refusèrent de vendre leur poisson aux usiniers. Les accords de Locarno garantissent les frontières de la France et de la Belgique avec l'Allemagne, qui renonce ainsi à toute revendication sur l'Alsace-Lorraine. Le maréchal Pétain arrive au Maroc, où il va coordonner les opérations de guerre du Rif. En littérature, Drieu La Rochelle publie l'Homme couvert de femmes, Gide Les Faux-monnayeurs, Proust Albertine disparue, ou Genevoix Raboliot. Et aux Grand et Petit Palais se tient l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, tout à la gloire des arts des années 1920.

(1) Le Journal des Finances daté du 14 août 1925.

(2) Emile Moreau, Souvenirs d'un gouverneur de la Banque de France, Génin, 1954.

(3) W. Churchill, Mémoires, Plon, 1949.