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Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, l'avait expressément prévu : l'Allemagne devra verser des réparations pour les dommages causés par la guerre, et leur montant lui sera notifié au plus tard le 1er mai 1921. Fin avril, la conférence de Londres fixe à 132 milliards de marks-or la facture allemande, dont 52 % pour la France. Beaucoup moins que les 226 milliards demandés par Paris, mais beaucoup trop pour le gouvernement de Berlin, qui estime cette ponction exorbitante. L'économiste britannique Keynes aussi ; d'ailleurs il le clame dans Les Conséquences économiques du traité de paix, un livre qu'il publie après avoir démissionné de la Commission des réparations, et qui fera un tabac outre-Rhin.

En fait, comme l'écrit Le Journal des Finances daté du 6 mai 1921, « nos alliés ne voient pas le problème des réparations sous le même angle que la France ». La Grande-Bretagne a atteint ses objectifs de guerre après avoir annexé la plupart des colonies du Reich, confisqué ses navires de commerce et éliminé sa flotte de guerre, prisonnière dans la baie de Scapa Flow où elle s'est sabordée en juin 1919. Elle ne songe plus qu'à reprendre les affaires avec les Allemands. Les Etats-Unis, devenus la première puissance mondiale, ont également hâte que l'économie germanique redevienne un partenaire à part entière. D'ailleurs, ils n'ont pas ratifié le traité de Versailles. La situation du gouvernement français est plus complexe car il a deux soucis qui peuvent, à certains moments, apparaître contradictoires : un souci financier et un souci de sécurité.

Le souci financier est le plus urgent

Comme l'écrit Le JdF à la date du 29 avril, « l'existence de la France est compromise si l'Allemagne ne paie pas ce qu'elle doit ». Les finances publiques sont fondées, depuis la fin de la guerre, sur la promesse des réparations. Pour amorcer sans retard la reconstruction des régions dévastées, le gouvernement a trouvé une astuce comptable : à côté du budget dit ordinaire, il a mis en place un budget bis, un « budget sur dépenses recouvrables », destiné à la reconstruction et financé dans l'immédiat par l'emprunt et, à terme, par les versements allemands.

Ainsi, le plus colossal emprunt de guerre a été émis bien après l'armistice, en octobre 1919 : près de 28 milliards de francs. Le Boche paiera ! vous dis-je. Mais imaginez la catastrophe financière s'il ne paie pas ! On comprend l'intransigeance de Paris, qui réagit très vivement aux tentatives de Berlin d'échapper à ses obligations : en mars 1921, le refus allemand d'accepter le montant des réparations fixé entraîne l'occupation, par les troupes françaises, de Düsseldorf, Duisbourg et Rhurot. Berlin cède. Mais, à Paris, on prend conscience des lacunes du traité de Versailles, très insuffisant sur les moyens de coercition en cas de mauvaise volonté allemande. Rien à voir avec l'extrême précision et le calendrier rigoureux des clauses imposées à la France en 1815 et en 1871. Et, sentant qu'une attitude intransigeante de la France ne ferait que l'isoler davantage de ses anciens alliés, les esprits les plus ouverts comprennent qu'on ne peut fonder l'avenir sur le seul rapport de force.

En octobre 1921, sous le gouvernement Briand, les ministres Loucheur et Rathenau signent les accords de Wiesbaden, qui visent à remplacer au moins partiellement les réparations en argent par une sorte de troc dans lequel les entreprises allemandes fourniraient les matériaux nécessaires à la reconstruction du nord et de l'est de la France.

L'industriel Hugo Stinnes, par ailleurs expert du gouvernement de Berlin, entame ainsi des négociations avec un homme d'affaires français, le marquis de Lubersac, président de la Confédération générale des coopératives de reconstruction des régions dévastées. Pour la première fois depuis longtemps, Français et Allemands discutent directement et travaillent ensemble. Malheureusement, cette initiative originale s'enlisera rapidement, minée par l'hostilité britannique et les contradictions françaises, qu'un article du JdF du 14 octobre 1921 met parfaitement en relief.

D'un côté, « ces accords de Wiesbaden peuvent apparaître comme le prélude du "désarmement moral" et la préface d'accords économiques plus vastes » entre les peuples européens. De l'autre, « le grand grief qui leur a été fait a été de désavantager l'industrie et la main-d'oeuvre françaises, du fait de ce formidable volume de livraisons à provenir rapidement ». En un mot, on veut que l'Allemagne nous paie mais on ne veut pas que son économie lui en donne les moyens. Une contradiction dont la France ne sortira pas entre les deux guerres mais qu'elle saura heureusement éviter au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Les Français se sentent lâchés par leurs alliés

Il est vrai que, dans les années 1920, les Français, malgré leur victoire, se sentent seuls face à une Allemagne qui n'a pas connu la guerre sur son territoire et qui peut se relever très vite. Ils ont le sentiment que les Anglo-Saxons ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre leur préoccupation sécuritaire. Les Etats-Unis ne viennent-ils pas de refuser de ratifier le traité de garantie militaire à la France en cas d'agression allemande, et la Grande-Bretagne n'a-t-elle pas fait de même, prétextant que sa propre garantie militaire est solidaire de celle de Washington ? A un journaliste qui, à la fin du congrès de Versailles, demandait à Clemenceau s'il était satisfait, le « Tigre » avait répondu en bougonnant : « Oui, oui, mais il y a toujours 20 millions d'Allemands de trop ! » Deux ans plus tard, 38 millions de Français pensaient comme lui.

Et pendant ce temps, en 1921, la scission de la SFIO, avec la création du Parti communiste, se propage au monde syndical. La minorité révolutionnaire quitte la CGT pour fonder la CGTU, la Confédération générale du travail unitaire, proche de Moscou. Le 1er mars est votée une loi interdisant toute hausse des loyers et qui sera à l'origine de décennies de marasme dans l'immobilier. Le 18 juillet, les biologistes Calmette et Guérin mettent au point le premier vaccin contre la tuberculose, le BCG. Le 1er décembre, la cour d'assises condamne à la peine de mort Landru, alias Tartempion.